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LE DESSIN COMME LIBERATION

Conversation avec Emma Herbin

Toujours ensemble

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Ma passion pour l’art est indissociable de l’amour immense que je portais à mon père. Toute petite déjà, quelle que soit l’heure, il me suffisait d’apercevoir un rai de lumière poindre sous la porte de son atelier pour courir le rejoindre et me mettre à dessiner à ses côtés.  A l’adolescence, alors que mon père était le plus souvent alité à cause de souci de santé, j’ai continué à lui tenir compagnie de longues heures avec mes tubes de couleurs éparpillées sur le sol de la clinique.

Jusqu’au jour ou la mort nous a définitivement séparés… C’est donc dans le silence et le vide, au plus profond de mon être, qu’est née ma vocation d’artiste.

 

 

 

Une série née de l’enfermement ou la contrainte ouvre des portes !

 

Comme souvent dans la vie, il suffit parfois de détails anodins pour changer de fréquence. Durant la pandémie, le confinement en Argentine était particulièrement stricte. Pendant près de six mois, j’ai donc vécu en autarcie dans mon appartement, en compagnie de mes trois fils. Étonnamment, toutes ces contraintes ont suscité chez moi un regain de créativité intense et bénéfique. L’art a toujours été salvateur pour moi.

 

 

Dans le même temps, mes principaux clients américains - privés de voyages- ont cessé brusquement de m’acheter mes toiles. Comme je peins et dessine à un rythme soutenu, mon stock a rapidement pris beaucoup d’ampleur… Le jour où mon fils ainé m’a fait observer qu’il n’y a plus assez de place sur les murs, j’ai eu l’idée d’exploiter des espaces vierges en jetant mon dévolu sur les portes ! Quelques mois plus tard, profitant d’un assouplissement des règles sanitaires, nous décidions de partir vivre en France.

 

L’annonce de mon déménagement déclencha un tel regain d’intérêt pour mon travail que je dus créer une liste d’attente pour pouvoir honorer toutes les nouvelles commandes. Un jour, je reçu même la visite d’un groupe de collectionneurs, qui, pour ne pas repartir bredouille, décidèrent de m’acheter les portes devenues oeuvres d’art. J’ai du faire intervenir en urgence un menuisier pour les remplacer, puisque l’une n’était autre que la porte principale de l’appartement.

 

 

Une fois à Paris, j’expérimente le confinement dans un nouvel appartement. En découvrant le plafond de ma chambre fraichement repeint, me vient l’idée un peu folle de redessiner les moulures pour les voir prendre à nouveau leur envol. Rapidement, je ressens le besoin d’y ajouter un insecte… puis un lièvre et enfin, de recouvrir l’intégralité du plafond de cette faune argentine qui me manquait tant. La nature a toujours été mon oxygène, mon ADN. Il était temps de lui redonner ses lettres de noblesse.

 

Quelques mois plus tard, je suis invitée à passer quelque jours de vacances chez un ami, propriétaire d’un vignoble bordelais. Au réveil, alors que tout monde vaque à ses occupations, je tombe en arrêt devant un grand mur vide accolée à mes sanitaires. J’ai alors l’idée, pour remercier mes hôtes et créer la surprise, de personnaliser cet espace sans me douter que je passerai autant d’heures enfermée dans les toilettes de ma chambre!

 

 

 

 

Rouleau de papier toilette ou étoffes d’antan, chaque support m’ inspire

 

Il y a plus de vingt ans, alors que j’achevais mes études aux Beaux-Arts de Madrid, j’habitais un appartement si petit qu’il me fallait faire preuve de créativité et de débrouillardise pour mener à bout mes projets.  A cette époque un peu bohème, j’avais pris l’habitude d’utiliser des rouleaux de papier toilette enduit de plâtre pour pouvoir dessiner dessus en déambulant dans la ville, à la manière d’un carnet de voyage.

Étant la benjamine d’une grande fratrie (nous étions huit enfants), la solitude de l’artiste exilée en Europe a toujours été pour moi une épreuve. Marcher avec mon rouleau de papier me permettait de me sentir moins seule, comme accompagnée d’un allié en quelque sorte.

 

Au fil des années, le rouleau a fini par grandir jusqu’à atteindre les 32 mètres. Plus tard, il s’est retrouvé exposé au Centre Cultural Recoleta de Buenos Aires avant de se retrouver dans une émission de télévision ou Canela (célèbre présentateur d’une émission culturelle en Argentine) s’est drapée dans les rouleaux.

 

Puis, comme le serpent, j’ai eu besoin de changer de peau en troquant mes fidèles rouleaux pour des tissus anciens que je me suis mise à transporter partout avec moi. Les premiers appartenaient à ma famille sous la forme de draps de bébé ou de housses de coussin. Je les extirpe de mon sac dans les cafés, les parcs, dans les salles d’attente pour pouvoir dessinée dessus chaque fois que j’ai un peu de temps libre. Ce support m’a permis de continuer à travailler en jonglant avec mon quotidien et mes responsabilités de mère. J’ai même ressorti les stylos que j'utilisais pour faire mes croquis à main levée lorsque je travaillais comme architecte.

 

Quand je suis arrivée à Paris en plein coeur de hiver, tous les commerces et lieux culturels étaient fermés pour cause de confinement. La ville semblait si dépeuplée que j’ai eu la sensation de m’immerger au milieu de ses sculptures et de son architecture qui brillaient par leurs solitudes. C’est là où j’ai commencé cette toile qui m’a accompagnée pendant les dix premiers mois de ma vie parisienne, un peu comme un carnet de voyage glissé dans un sac qui me suit d’un endroit a l’autre.

 

Désormais, le défi pour moi est de créer sur des tissus contemporains des illustrations non répétés, chacune devenant une œuvre unique et singulière, capable de produire une esthétique rappelant les rideaux en toile de Jouy qui ornent la chambre de ma mère. Ces motifs ont bercé mon enfance et imprégné mon subconscient.

 

 

Un rêve

 

Enfant, mon père m’emmenait régulièrement à l’Opera. Je lui disais sûre de moi qu’un jour je deviendrai décoratrice de théâtre. À vingt- ans, le rêve s’est finalement réalisé puisque je suis devenue assistante du directeur de théâtre Colon à Buenos Aires.

Aujourd’hui, mon ambition serait de dessiner une fresque sur le plafond d’un théâtre parisien… Ma manière personnelle de laisser une trace intemporelle dans cette ville qui me transporte et me touche tant.

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